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Elle est jeune et perdue, lui est mur et seul.
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Je lève les yeux de mon écran d'ordinateur et fixe le mur. Mon boulot me saoule. 20 ans que je fais la même chose. Et depuis les dix dernières années je m'ennuie profondément. Avec le temps, j'ai réussi à me libérer d'une partie de mes activités, à tel point que je me sens parfois coupable quand le chèque tombe à la fin du mois. Ma pause d'une heure pour déjeuner me prend deux heures, et je profite de la moindre occasion pour partir avant l'heure. Être le directeur d'un service informatique d'une assez grosse entreprise permet de s'adonner à un penchant pour la paresse.

Malheureusement pour ma boite, je suis une personne difficile à remplacer. Durant mes premières années, à l'époque où je travaillais avec enthousiasme, j'ai initialisé tous les processus informatiques qu'utilisent nos logiciels et les encodant de telle façon que rien de ce qui existe sur le marché n'est efficace. Oh je ne suis pas naïf au point de croire que je suis totalement indispensable. Mais me remplacer coûterait cher en argent comme en temps puisque les seuls manuels d'utilisation de nos process sont imprimés dans ma tête. Ce n'était pas mon but au départ, mais au fur et à mesure que la société a grandi, il est devenu compliqué de me remplacer.

Aujourd'hui je suis à la tête d'un département de cinq employés et le plus gros de mon travail consiste à diriger mes subordonnés et à surveiller régulièrement la base de données. Étonnamment, mon salaire a grimpé en même temps que ma charge de travail diminuait. Entre surveiller mes adjoints et rédiger un rapport de temps en temps, je n'ai pas de quoi être débordé.

Le pire dans tout cela, c'est que j'ai près d'une centaine de jours de RTT à récupérer. Mais je les utilise presque jamais car je ne sais pas où aller. Ma femme est partie depuis sept ans, et même avant cela nous n'étions pas des grands voyageurs. Du coup je les garde en réserve pour le jour lointain de ma retraite en échange d'une petite somme rondelette. À moins que je ne les liquide pour un coup de folie. En même temps, mon dernier coup de folie remonte à l'époque de la fac. C'est pour dire à quel point ma vie est sans relief. Mon seul petit plaisir est d'attendre le dernier épisode de ma série préférée du moment.

Je regarde une nouvelle fois la pendule de mon bureau. Il est midi. L'heure d'aller déjeuner. La plupart des gens de la boite ont pris l'habitude de ne pas me voir entre midi et 14h. Je sais que cela fait parler dans mon dos, mais personne n'a le courage d'aborder le problème devant moi.

Comme je vis à 10 minutes à peine du boulot, j'ai l'habitude de rentrer déjeuner chez moi. Toujours la même routine : un sandwich vite fait ou un surgelé passé au micro-ondes puis je me met devant mon ordinateur pour jouer pendant deux heures. Les jeux de stratégie sont ma cocaïne. Si je ne fais pas attention, je peux me retrouver à 3h du matin en train de réfléchir à la meilleure option pour ma prochaine offensive. Mais aujourd'hui c'est différent. L'idée de me retrouver dans cette maison vide ne m'enchante pas plus que ça. Je préfère aller dans un petit resto pour que quelqu'un d'autre cuisine et se charge de la vaisselle à ma place.

J'arrive devant « L'Auberge Lorraine » bien avant que le service batte son plein. Suzanne, la serveuse, me connaît de nom. C'est une femme d'âge mur au sourire jovial. Vu son âge, elle devait déjà travailler ici alors que je tétais toujours le sein de ma mère. Je lui ai toujours envié sa bonne humeur apparente en me demandant comment elle faisait.

« Bonjour Pierre, cela fait longtemps qu'on ne vous a pas vu. » me dit-elle avec son sourire de grand mère affectueuse.

« J'ai trouvé un nouveau jeu. J'étais trop occupé à essayer de conquérir le monde. »

Je lui avais fait par de ma passion au hasard de nos conversations. Pourquoi je me justifie au fait? Sans doute a-t-elle une personnalité attachante et que l'on ne veut pas décevoir.

« Ah cette passion du jeu!... On vous a gardé votre place au chaud. Qu'est-ce que vous prendrez aujourd'hui?

Soucieuse du bien-être de ses habitués, elle sait prendre soin d'eux avant l'arrivée de la foule.

Le temps de feuilleter quelques pages d'un quotidien histoire de se maintenir au courant des actualités de ce monde, et me voilà avec une belle entrecôte et des frites maison posés devant moi. Les échos d'une conversation entre Suzanne et une jeune fille debout devant le comptoir ramène mon esprit dans la salle du restaurant. La fille arbore un look du style punk à chien. Le côté gauche de son crâne est rasé alors que le reste est long. Deux mèches pourpres zèbre sa chevelure brune. L'oreille qu'il m'est permis de voir est parsemée de piercings en tout genre. Un peu trop chargé pour être séduisant. Sans oublier le mascara déposé avec excès et une tenue où le noir est la couleur dominante. Vu l'apparence, je me dit qu'il doit y avoir un père au bout du rouleau quelque part. Et pourtant, si on retire cette accoutrement, cette fille, qui doit avoir une vingtaine d'année, à de quoi être belle.

D'après les bribes de conversation qui me parviennent, je comprend qu'elle cherche à négocier un peu de nourriture contre trois pièces d'un euro. À bien y regarder, le physique de la jeune fille me paraît fin, voir même émacié. Suzanne lui explique que pour cette somme là, elle ne peut lui donner qu'un demi sandwich et un verre d'eau. La fille insiste une dernière fois avant de céder et de reprendre le peu de monnaie qui lui reste. Un air maussade passe sur son visage et ternit se qui lui reste de charme.

Dans mes jeunes années, je n'avais que peu de sympathie pour les anticonformistes. Ils ont décidé de paraître et de vivre différemment. Alors ils n'avaient qu'à en assumer toutes les conséquences. Mais en vieillissant, je me suis adouci. Chaque personne sur cette Terre est un être humain qui cherche son chemin comme il le peut. Cela ne veut pas dire que je suis d'accord avec les choix de cette fille, mais qu'elle a le droit de décider de sa vie. Après tout, n'ai-je pas fait des erreurs dans ma jeunesse? Et j'en fais toujours aujourd'hui. Je sors un billet de 10 euros de mon portefeuille et fais signe à Suzanne de m'apporter un café. Quand elle m'apporte ma tasse, je lui glisse le billet discrètement et lui murmure de la même façon :

« Servez un repas à cette jeune fille. »

Suzanne me jette un regard froid, comme si elle cherchait des intentions malsaines derrières mon geste. Alors je sens obliger d'ajouter :

« Ne vous méprenez pas. Dites lui qu'en cuisine, ils se sont trompés dans les quantités. Ne lui dites pas que cela vient de moi. »

Ma tentative sincère pour défendre mon honneur fait mouche. Suzanne me sourit, comme une grand mère fière de son petit et me fait signe de la tête qu'il en sera ainsi. Puis je retourne vers mon journal, pensant avoir fait ma bonne action de la journée.

Quand le déjeuner de la jeune punkette arrive, Suzanne lui raconte que le cuisinier a mal compris et qu'à la place de son demi sandwich, il lui a préparé un déjeuner à emporter. Alors plutôt que de jeter cette nourriture, elle n'a qu'a l'emporter car il y a peu de chance que quelqu'un commande ce genre de chose à cette heure de la journée. Le visage de la jeune fille s'illumine comme il l'aurait fait si elle avait gagné au loto. Elle a un sourire magnifique et doux qui ne cadre pas avec l'apparence qu'elle essaye de se donner. Elle s'installe à une table et commence à engloutir son déjeuner comme si elle n'avait pas manger depuis des lustres. Une bouffée de fierté m'envahit. Je me lève de ma table et je passe régler mon déjeuner. Suzanne me sourit et m'adresse un clin d'œil. Je lui rend son sourire et quitte le café-restaurant. Je fais quelques pas et je rentre dans une supérette pour m'acheter des lames de rasoir et de la mousse à raser puisque je suis sur le point d'en manquer.

En sortant du commerce, la jeune punk semble m'attendre.

« Vous avez payé mon déjeuner. Pas vrai?! » me dit-elle avec véhémence en pointant un doigt dans ma direction.

« Je ne suis pas sur de comprendre ce dont vous parlez. » dis je en feignant l'ignorance.

Je continue d'avancer vers ma voiture. La situation est en train de prendre une tournure qui ne me plaît pas trop et je commence à me demander si mon geste était une si bonne idée que ça.

« J'ai vu la serveuse lorsqu'elle vous a fait un clin d'œil Les cuisiniers ne se sont pas trompés, hein? »

Elle semble en colère, et je trouve cela insultant. Bien, les bonnes actions ont leur revers.

« Écoutez, je suis désolé. Vous aviez l'air d'avoir tellement faim... Je suppose que j'ai fait une erreur. ».

Je fais les derniers pas qui me séparent de mon véhicule et j'en ouvre la portière du conducteur. Il me semble qu'un départ rapide s'impose.

« Je n'ai pas besoin de votre charité. Je n'ai besoin de la charité de personne. » me crie-t-elle, de plus en plus en colère.

En de telles situations, je ne sais jamais vraiment comment agir. Le plus souvent je me tiens sur la défensive ou je dis des choses qui ne font qu'envenimer la situation. À cet instant, je préfère garder le silence. Je jette le sac plastique contenant mes achats sur le siège passager et tourne le dos à la jeune fille.

« Je sais pas ce que vous me voulez mademoiselle. Si cela vous dérange tellement, vous n'avez qu'à dégueuler votre déjeuner et arrêter de me casser les couilles uniquement parce que j'ai voulu être gentil. »

Cette dernière phrase... Je viens bien de la prononcer? Je me rend compte que j'ai été plus méchant que je ne l'aurai voulu, appuyant sur chaque mots avec une dureté inhabituelle. Elle fait un pas en arrière, choquée par ma réponse. Son immobilité m'offre une occasion de m'échapper. Je frappe l'arrière de ma tête contre l'appuie-tête de mon siège en proférant un « Merde » et je claque la portière de la voiture. Je prend une profonde respiration avant de démarrer le moteur. Je sens mes membres trembler, tout mon corps est chamboulé par cette montée d'adrénaline.

J'entends que l'on frappe légèrement à la fenêtre de la portière. Je lance un « Fais chier! » avant de baisser la vitre dans le but de lui asséner une nouvelle remarque désobligeante. Mais la seule chose que je vois, ce sont ses yeux humides.

« Je suis désolée. » me dit la jeune marginale le plus sincèrement du monde, avant de se retourner et de partir.

« Fais chier. » me dis je à moi même.

J'ouvre la portière et je sors.

« Je vous demande de bien vouloir me pardonner. Vous n'étiez pas censée apprendre que ce geste venait de moi. »

Je m'efforce de prendre un air penaud, mais je ne suis pas certain d'être très convainquant. Elle s'arrête mais sans me faire face, elle m'explique :

« J'avais faim! Mais je ne suis pas prête à recevoir de l'aide. »

Je n'ai pas le moindre doute sur le fait qu'elle soit en train de pleurer.

« Écoutez, il me reste un peu de temps avant de retourner au travail. Est-ce que je peux vous déposez quelque part? »

Si ma proposition semble généreuse, en réalité j'espère obtenir un non qui nous permettrait de nous séparer d'une manière relativement cordiale. Mais tout ce que j'obtiens ce sont des larmes. De vraies larmes.

« J'ai nulle part où aller. » »

Elle refuse toujours de me regarder, et je ne me sens pas le courage de la contourner pour lui faire face. Je sens qu'elle a besoin d'être prise dans les bras et de recevoir un peu d'affection, mais je ne la connais pas et l'idée me donne la chair de poule. Je ferme la portière de ma voiture et je m'assied sur le capot de la voiture histoire de me donne un air faussement détaché. Je ne peux pas la laisser toute seule, en pleurs, au milieu du parking de la supérette.

« Chez vos parents? »

Cette fille a besoin d'être étudiée, analysée. Et balayer le champs des possibles pour cibler le problème en vue de sa résolution et l'élaboration du programme est mon point fort. Oui bon, cette fille n'est pas un ordinateur ou un virus mais je pense que ce qui est ma seconde nature dans le travail peut me servir à cet instant.

« Je ne veux pas y retourner. De toute façon, ils ne me laisseraient pas franchir la porte d'entrée. » me dit-elle en se retournant.

Deux traces noires s'écoulent de ses yeux vers ses joues. Je ne peux m'empêcher de penser qu'elle ferait mieux de dépenser son argent dans la nourriture plutôt que d'acheter du mascara.

« Des amis? »

J'essaye de la faire réfléchir pour lui éclaircir les idées. Tout est triste quand on est au fond du trou, alors qu'il suffit parfois de lever un peu la tête pour voir une solution, là, à portée de main. J'éprouve un certain soulagement de voir qu'elle ne cherche pas à se rapprocher de moi, même si c'est étrange d'avoir une conversation assez personnelle avec quelqu'un qui se trouve à plusieurs mètres de vous.

« J'en ai déjà usé et abusé. Certains d'entre eux feront même tout leur possible pour ne jamais me revoir. »

Ses larmes se remettent à couler. N'ayant jamais eu d'enfant, tout ceci me dépasse. Quand ma femme avait du chagrin, je la prenais dans mes bras. Mais là, je n'ai absolument aucune idée de ce qu'il faut faire.

« Au fait, moi c'est Pierre. Et vous? »

Je tente de détourner la conversation. J'espère que cela asséchera un peu cette rivière de larmes qui me met mal à l'aise.

« Capucine. Mais tout le monde m'appelle Capu.. »

Sans vraiment savoir pourquoi, je trouve que ce prénom lui va bien. C'est un prénom charmant et qui sonne comme quelque chose de délicat.

« Capu, vous savez qu'il y a des organismes et des associations qui peuvent gérer.... ce genre de situation. »

J'étais à deux doigts de lui dire que des gens pouvaient aider les sans-abris, mais cela m'a paru blessant pour elle.

« Je sais... Enfin je crois. Je ne sais pas où elles se trouvent, ni à qui m'adresser. »

Au son de sa voix, je sens que cette proposition ne l'enchante pas vraiment, ce qui est fort compréhensible. Je réagirais sans doute de la même façon si j'étais à sa place. En voyant ses habits froissés, je me permet d'être plus indiscret.

« Où avez vous passez la nuit dernière? »

Elle paraît hésitante. Disons plus embarrassée qu'hésitante.

« Je me suis caché dans une bibliothèque en attendant la fermeture. »

Les larmes qu'elle tentent de refouler parviennent à franchir une nouvelle fois le barrage. Cette fille a vraiment touché le fond. Je ne peux quand même pas la laisser à la dérive au milieu de ce parking!

« Écoutez, si vous le voulez, nous pouvons appeler quelques associations tous les deux, et nous verrons alors quelle est la meilleure solution pour vous. »

Je veux la faire réagir. Au point où elle en est, elle pourrait tout aussi bien rester plantée sur place jusqu'à la fin des temps.

« J'ai sans doute besoin d'aide. »

Elle paraît totalement perdue. Je déteste être en présence de personnes abattues. Je trouve qu'ils communiquent une sorte de déprime à tous ceux qui se trouve autour d'eux. Cela me fait donc bizarre de l'aider. Une idée me vient. Elle me paraît pas très judicieuse mais pourtant je me lance. Je sors mon portefeuille et je cherche ma carte d'identité. Je lui tend avec mon smartphone.

« Pourquoi ne pas appeler un de vos proches pour lui dire que vous allez passer un peu de temps chez moi? »

En réalité, si je lui demande d'avertir quelqu'un c'est uniquement parce que je me sentirai plus tranquille si tout cela ne reste pas trop privé. Même si cette solution ne me semble pas la meilleure, c'est quand même mieux que de la laisser tomber. Elle fait quelques pas en avant, saisit mon téléphone et ma carte. Pendant un instant, elle les regarde puis elle me les rend.

« Je n'ai personne à appeler. »

Pas de larmes cette fois. Juste la profonde tristesse de se savoir sans attaches. Je suis de plus en plus mal à l'aise. Elle est adulte certes, mais je me serai senti un peu mieux si elle avait eu quelqu'un d'autre sur qui compter. J'appelle le bureau et pour la première fois depuis une éternité, je prend mon après midi.

Dix minutes plus tard nous sommes chez moi. Je montre à Capucine la chambre d'amis avec sa salle de bain. Je lui donne quelques serviettes de toilette et une robe propre. Le robe est un peu trop large pour son corps un peu trop maigre, mais c'est tout ce que j'ai à lui passer. Je la laisse se laver et se changer pendant que je cherche un organisme qui pourra l'aider.

Il n'y a qu'un centre d'hébergement dans le secteur et toutes les places sont prises pour la soirée. Je ne m'étais jamais imaginé que ce genre de lieu puisse être complet. Surtout en cette période de l'année. Mais la personne que j'ai en ligne m'explique que les places se retiennent au jour le jour, et si la météo s'annonce mauvaise les places sont prises dès midi, sinon en temps normal ils peuvent avoir de la disponibilité jusqu 'à 17h. Et comme ce soir il est prévu de violents orages, tout s'est joué dans la matinée. J'entrevois en quelques secondes une toute petite partie de la vie de sans abri.

Je suis certain que cette fille ne me poserait pas de problèmes. Du moins c'est ce que je tente de me convaincre car j'ai mauvaise conscience à la mettre dehors. Mais c'est un peu perturbant de la voir s'installer à la maison. Après tout, elle peut très bien être une psychopathe ou tout simplement une chieuse de première. Mais bon, je verrais bien demain matin si j'ai eu raison.

Je me dirige vers la chambre d'amis sans entendre le son de la douche. Je frappe doucement à la porte de la chambre. Pas de réponse. Je renouvelle mon geste avec le même résultat. J'ouvre la porte en prononçant son prénom et toujours rien. Mais l'explication de ce silence se trouve devant moi : elle s'est endormie sur le lit, ses cheveux enveloppés dans une serviette de toilette et la robe passée. Il ne doit pas y avoir longtemps qu'elle s'est assoupie. Elle semble plus apaisée. Je la laisse donc profiter de ces instants de quiétude. Lorsque vous êtes dans la rue, dormir confortablement doit être un luxe. Ce soir, elle n'aura pas à s'en inquiéter.

Lorsque l'heure du dîner est arrivée, elle ne s'est toujours pas réveillée et d'une certaine manière j'aimerai bien qu'elle dorme toute la nuit. Plusieurs années à vivre seul vous transforme parfois en ours solitaire. Je lui écris un petit mot sur un papier que je laisse à sa porte pour ne pas qu'elle s'inquiète : Le centre d'hébergement est complet. Il y a de la nourriture dans le frigo si tu as faim. À demain. Je peux aller enfin dans ma chambre.

Depuis la mort de ma femme, il y a sept ans déjà, j'ai conservé l'habitude de dormir sur le coté droit du lit. Vu que mon lit est un lit de très grande taille, n'importe quelle personne sensée s'étalerait au maximum. Mais moi je me sens bien sur mon coté. Cela m'oblige juste à retourner le matelas régulièrement pour ne pas l'abîmer.

Les prévisions d'orages étaient bien fondées. Le premier coup de tonnerre que je perçois me tire d'un profond sommeil vers deux heures du matin. Les éclairs strient le ciel de leurs éclats vifs sans discontinuer, accompagnés par le grondement de la foudre. L'absence de la lumière rouge de mon radio réveil me fait comprendre que l'électricité est coupée. Je me demande si Capucine arrive à dormir avec un tel vacarme. J'en ai la réponse peu de temps après en sentant un corps se glisser dans le côté opposé du lit, celui que ma femme a occupé durant des années. Je suis un peu paniqué de la savoir juste à coté de moi, mais je me calme quand je sens qu'elle rabat la couverture par dessus sa tête. Je fais semblant de dormir en tentant de réprimer un sourire. L'attitude de ma visiteuse me rappelle tellement celui de ma femme qui était terrifiée par les orages. Je suis content de ne pas l'avoir mise à la porte avec un temps comme celui-ci. Méticuleusement, je me tourne sur mon coté droit car je ne veux pas prendre le risque du moindre contact entre nous.

Comme tous les jours depuis ces vingts dernières années, mon réveil retentit à 6h. Mon esprit embrumé prend conscience que j'ai une visiteuse, alors je ne tarde pas trop. Je me redresse dans mon lit et je me frotte les yeux, avec la sensation d'un sommeil inachevé. À travers les interstices des volets, j'aperçois la douce lumière du soleil. L'orage de cette nuit et son cortège de nuages se sont évanouis.

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