Ombres & Complot - Chapitre 04

Ils échangèrent quelques regards gênés tandis que la cabine montait péniblement dans une cacophonie de grincement. Alis souffla et adressa un sourire à Joe qui lui rendit cette fois avec plus d'entrain.

" Mademoiselle? "

" Oui? "

" Promettez moi que vous raconterez pas ça au Shérif... "

Elle éclata de rire, bientôt rejointe par Joe.

Le fameux bureau où ils devaient rester en planque s'avéra être un vaste open space ouvert sur d'immenses baies vitrées dont la vue donnait sur les docks. Ils placèrent deux fauteuils devant les baies vitrées, allumant une petite lampe de bureau en guise d'unique éclairage.

" J'ai ça pour vous. On devrait en avoir besoin. "

Alis le remercia d'un signe de tête en saisissant la paire de jumelle et s'approcha de la baie vitrée, scrutant les docks.

" Une chance que le ciel soit dégagé, on y voit plutôt bien... Malheureusement je ne vois personne pour le moment... "

Joe, un peu plus détendu, lui sourit.

" La planque mademoiselle, y a deux secrets... La patience d'abord... (Il ouvrit la besace qu'il avait au côté et en sortit deux bouteilles.) Et la bière... "

Alis rit avant de prendre une des bouteilles.

" Va pour la bière! "

Ils discutèrent de tout et de rien pendant plusieurs heures, se levant régulièrement pour surveiller les docks.

Ils se mirent un peu plus à l'aise à mesure que la soirée avançait, la fatigue aidant. Alis avait retiré ses chaussures, détachait ses cheveux et roulé sa veste en boule en guise de coussin. Joe lui avait posé le fusil à pompe et sa ceinture avec menottes et arme de service un peu plus loin sur le sol.

Elle apprit qu'il était adjoint dans la région depuis un peu plus d'un an. Elle eut un sourire en apprenant qu'il n'avait que vingt trois ans, sourire qui s'effaça un peu lorsqu'il parla de sa famille, morte dans une fusillade, règlements de compte d'un gang selon les autorités. C'est ce qui l'avait poussé à rejoindre la police, mais sa carrure peu imposante lui avait valu une des moins bonnes places. Ho il n'était pas mécontent de travailler avec le Shérif, c'était un homme bourru, grossier et qui agissait parfois bizarrement, mais il avait des bons côtés et il le protégeait, quoiqu'il arrive. Alis se contentait d'écouter en lui souriant de temps à autre pour l'encourager. Il comprenait que le Shérif soit devenu "comme ça". Cette ville avait quelque chose de fou et de lugubre. Un an qu'il était là et la plupart des gens le regardait encore comme si ils allaient lui trancher la gorge dans son sommeil. Le Shérif lui était accepté et respecté dans certaines limites.

Joe semblait éprouver une certaine admiration pour le bonhomme. Alis pouvait le concevoir, les gens étaient rarement tout blanc ou tout noir.

Alis, gagnée petit à petit par la fatigue avait fini par s'assoupir quand elle fut tirée de son sommeil par une tape sur son épaule. Elle sursauta, faisant face à l'adjoint, les jumelles à la main qui lui désignait les docks.

" Je sais pas trop ce qui se passe mais j'ai pensé que tu voudrais voir ça Alis. "

Elle se redressa vivement en les saisissant avant de fixer son regard sur des formes mouvantes.

" Ils doivent être une dizaine... Des dockers tu crois? "

" Pas facile à dire de là mais je pense oui, j'ai cru en reconnaître un ou deux. "

Les dockers qu'elle surveillait avançaient de façon organisée, presque militaire. Les deux premiers traînaient une forme allongée assez imposante qu'elle ne parvenait pas à identifier. Ils se dirigeaient vers un des pontons de bois.

Alis rendit les jumelles à Joe et lui désigna l'étrange scène.

" Tu arrives à voir ce qu'ils trimbalent? "

Après quelques instants il eut mouvement de recul puis plissa les yeux, concentré.

" Hum... Un gros sac, ils viennent de le jeter à l'eau. Ils sont entrain de... Heu... Regardes par toi même. " Il semblait à nouveau mal à l'aise.

Alis compris pourquoi dés qu'elle eut récupérer les jumelles. Ils étaient entrain de se déshabiller complètement. Elle eut un petit sourire et voulut en plaisanter mais elle s'arrêta net, muette d'effroi.

Un des hommes avait placé ses mains dans son dos, ses doigts pressant sur sa colonne vertébrale d'où des traînées sombres commencèrent à couler le long de son dos.

Elle poussa un cri d'effroi et laissa tomber les jumelles en se reculant d'un bond lorsque l'homme déchira brusquement la peau qui s'ouvrit tout le long de sa colonne.

Joe s'agenouilla près d'elle et posa la main sur son épaule, cherchant son regard.

" Alis ...? "

Elle secoua doucement la tête, le regard dans le vague. N'obtenant guère plus de réponse il ramassa les jumelles et chercha ce qui avait pu l'effrayer.

Il se mit à trembler de tout son être quand il aperçut la scène dont elle avait été témoin.

" Qu'est ce que... Royer... Il disait vrai... Comment... "

Alis tilta à ces mots et se redressa, reprenant les jumelles.

En lieu et place de la boucherie sanguinolente à laquelle elle s'attendait se dressaient encore une demi douzaine de créatures à la peau grisâtre. Certaines étaient humanoïdes, d'autres reposaient sur une multitude d'appendices qui remuaient inlassablement de façon répugnante, des espèces de tentacule... Elle avait du mal à tenir sur ses jambes et sentait son corps lui échapper devant cet espèce de cirque de l'horreur que chacune de ses créatures venait renforcer par de nouvelles malformations hideuses. Des formes qu'elle ne parvenait à distinguer gisaient sur le sol. Elle tremblait de plus en plus et du s'asseoir sur le sol, tenant sa tête entre ses mains, se mordant la lèvre à en saigner, les yeux clos.

Joe ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais il ne savait plus. Il était tout aussi perdu qu'elle. Il jeta un dernier coup d'œil vers la baie vitré... Et lâcha un juron avant de courir vers sa ceinture et son fusil.

Alis redressa la tête vers lui, déboussolée et fronça les sourcils en apercevant son visage épouvanté.

" Dépêches toi Alis, ils nous ont vu. "

Ils rejoignirent la voiture à toute allure, passant par les escaliers, pour ne pas se retrouver pris au piège avait dit Joe. C'est en trombe qu'ils quittèrent ensuite le parking, le second du Shérif manœuvrant habilement le véhicule entre les colonnes de béton. Une forme monstrueuse se dressait à la sortie du bâtiment, il n'en démordit pas et écrasa de plus belle l'accélérateur, percutant la masse sombre de côté dans un craquement répugnant avant de faire une embardée pour reprendre le contrôle du véhicule et quitter les lieux au plus vite.

Alis ne soufflait mot, scrutant consciencieusement l'obscurité, tremblante.

Joe secouait vigoureusement la tête et tapait par moment sur son volant.

" Il faut que je prévienne le Shérif, il pouvait pas savoir, c'est impossible, il faut que je lui dise, il va agir, il le fera, non c'est pas possible... "

Alis posa doucement sa main sur le bras de Joe.

" Il n'y a que vous deux...? "

Celui ci hocha la tête.

" Je n'ai jamais vraiment su pourquoi... Boston doit nous envoyer du monde en cas de besoin mais... Les rares fois où on a demandé ils avaient toujours une bonne raison pour ne pas venir. Le Shérif pense que c'est politique, personne veut mettre les pieds dans cette ville. Bref, on est livrés à nous même. "

" Oui mais quand même... Si on les alerte, qu'on leur dit ce qu'on a vu... "

Joe haussa les épaules.

" Je sais pas... Peut être qu'on finira avec Royer, qu'on nous traitera de fous... Je sais pas Alis... "

Elle s'efforça de lui sourire, timidement. Il était aussi bouleversé qu'elle, ce qui la rassura au moins un peu, elle n'était pas seule à devoir faire face à la folie de cette ville.

Il se redressa dans son fauteuil et la regarda gravement.

" Ils ont vu la voiture... Je pense pas qu'ils nous aient vu nous, il faisait sombre et... Mais ils ont vu la voiture. Je vais te ramener chez toi, c'est trop dangereux. Tiens toi à l'écart de nous pour le moment, je vais faire mon rapport, il aura un plan... "

Elle aurait voulu protester mais ne s'en sentait pas la force ou le courage pour le moment, elle se contenta de reporter son attention sur la route, pensive.

Joe insista pour faire le tour de la maison avec elle, fusil à la main, pour vérifier qu'il n'y avait pas d'intrus malintentionné, puis il la laissa en lui recommandant encore et encore de se barricader et de limiter ses déplacements au maximum.

Elle s'enferma donc à double tour, poussa un buffet devant la porte d'entrée et fit le tour des fenêtres.

Elle frissonna en regardant les planches cloués qui en empêchaient le franchissement. Et si c'est à cause de ces créatures qu'on avait ainsi condamné tout le rez de chaussée? Elle était épuisée mais se savait aussi incapable de trouver le sommeil.

Voulant se faire une boisson chaude la jeune femme alla faire couler de l'eau au robinet et grimaça en la trouvant froide.

Elle s'arma de courage et descendit à la cave. Effectivement la chaudière était éteinte. Elle pesta contre elle même et y remit quelques bûches. { Ça ne va jamais démarrer comme ça... } Elle soupira, cherchant de quoi démarrer le feu autour d'elle. Son regard se posa sur le vieux bureau métallique. Après quelques efforts le vieux tiroir rouillé finit par s'ouvrir. { Des lettres, des vieux prospectus... Parfait.. } Au fur et à mesure qu'Alis sortait des feuilles qu'elle froissait et posait sur le bureau, elle tomba sur un petit carnet relié en cuir. Ses yeux se plissèrent quand elle y découvrit le nom de son ancêtre sur la reliure. Elle le glissa dans sa poche, peut être y trouverait elle quelque chose d'intéressant.

Peu de temps après, une infusion tiède posée à ses côtés, elle s'était réfugiée dans son lit après enfilé un pyjama et coincé une chaise sous la poignée de la porte de la chambre. Elle ne cessait de tourner et retourner le carnet entre ses doigts, appréciant les reliefs de la couverture. Son instinct lui soufflait qu'elle avait mis la main sur quelque chose d'important, et après les horreurs qu'elle venait de vivre, elle hésitait, titillée entre la curiosité et la crainte. Une part d'elle refusait encore les événements étranges auquel elle avait assistée. C'était peut être des déguisements, une mise en scène, peut être que c'est de cette façon qu'ils avaient fait passer Royer pour fou. Tout son être se débattait pour trouver une explication à laquelle elle pouvait se raccrocher.

Et puis elle ouvrit le carnet.